Dans un précédent article, je parlais du combo perdant qui allie perfectionnisme et cohérence. Je le terminais en déclarant fièrement que je n’allais plus me laisser prendre au piège… J’ai prévenu tout le monde « vous allez voir ce que vous allez voir »… Oui, j’ai prévenu tout le monde, sauf moi…
Ca fait des années que je me débats avec cette double injonction, que je me heurte à mes impossibles. J’aime faire trop de choses, du dessin, du graphisme, de la sculpture, découper du papier, écrire, faire de la sérigraphie… J’aime faire toutes ces choses et parfois j’y parviens assez bien. Je finis la plupart des projets que j’entreprends mais je n’ai pas l’énergie de les porter vers les autres, de démarcher des galeries, de faire des dossiers, de promouvoir mon travail. Je me lance la tête la première dans toutes ces activités et à chaque fois, vraiment, je vous promets, je joue ma vie ! Mais dés que c’est fini, ça ne m’interesse plus… Non que je n’aime pas le résultat, mais je veux passer à autre chose, explorer une nouvelle voie, expérimenter une nouvelle technique, un nouveau médium ou même revenir à une activité plus ancienne que j’ai préalablement abandonnée, parfois sans même m’en rendre compte.
Parfois, je démarre un projet avec la ferme intention de ne me consacrer qu’à lui, jusqu’à la fin. Je vois immédiatement toutes les pistes que je pourrais suivre, je dessine mentalement la totalité d’un projet, je suis super emballée, je crois que j’ai trouvé mon truc et que je vais vivre toute la vie qui me reste à m’y consacrer pleinement, que je ne ferais plus que ça, que je vais déchirer ! Et presque aussitôt, quelques jours plus tard, parfois quelques semaines (dans le meilleur des cas), je me rend compte de l’énormité de la chose, de tout ce que cela implique de concentration, de temps passé, d’énergie, de concessions, de marchandages, d’inconfort et je lâche ma proie pour l’ombre. Je passe à autre chose, parfois immédiatement avec la même énergie que précédemment.
Sauf que maintenant, je me connais mieux… Je sais où cela me conduit… Vers quelle qualité d’échec et de mésestime de moi-même… Alors, je suis – parfois – plus prudente, plus parcimonieuse, plus précautionneuse… Mais rien n’y fait, là est ma nature profonde.
Sauf que, avec le temps, j’ai construit des modèles, j’ai choisi des mentors, tous obsessionnels compulsifs, entièrement tournés vers leurs œuvres, quelles qu’elles soient. Sol Lewit, Agnès Martin, Sheila Hicks, Mark Rothko, Le Corbusier, Tadao Ando, et même Garance Doré (blogueuse et influenceuse), Antonin Archer (podcasteur de la Nouvelle École) et j’en passe. Mais la vérité, c’est que tous ces modèles m’encombrent. Je me sens écrasée du poids de leur talent, et, rattrapée par le démon de la comparaison, j’éveille en moi une aquoiboniste pétrifiée et pétrifiante.
J’ai souvent eu l’occasion de réfléchir à cette question. Récemment, je l’ai vraiment abordée sérieusement, je me croyais prête à la dépasser enfin. Et puis, patatras, rien à faire, je suis rattrapée par mes démons : perfectionnisme, désir de cohérence, comparaison, parfois même envie sauvage et jalousie destructrice… Attention, rien de tout cela n’est grave ! Ce n’ est pas un article de plainte, seulement un article qui présente un constat. Écrire m’a toujours soulagée. Écrire pour moi, mais aussi livrer aux autres le fruit de mes réflexions…
Je suis persuadée que nous sommes nombreux dans mon cas. Il n’y a qu’à feuilleter la presse, surfer sur internet, errer lamentablement sur Facebook ou YouTube pour soulever le tapis et en faire sortir des centaines de victimes du syndrome de l’imposteur… des centaines de personnes désireuses de créer mais intimidées, angoissées, débordées par leurs modèles. Et il ne suffit pas de lire des livres de développement personnel ou des citations inspirantes sur Instagram pour sortir d’un programme psychologique aussi lourd et encombrant. C’est vraiment un combat.
Il y en a d’autres plus importants. Se lever, se dresser contre le monde comme il va (mal) m’apparait comme une nécessité plus essentielle… Pourtant, je ne peux pas non plus faire totalement abstraction de ce combat-là. Il est moins important pour le monde dans son ensemble, mais il est important pour mon équilibre… Et c’est le cas de beaucoup d’entre nous non ? Il faut bien commencer quelque part… Se polir pour irradier autour de soi. Se faire du bien pour faire du bien autour… bla bla bla…
Bref ! Peut-on aller contre sa nature profonde ? Peut-on détester sa nature profonde et désirer si fort être quelqu’un que l’on n’est pas ? À quel point peut-on changer ? Et quand ? Y-a-t-il une date limite ? Un âge critique au delà duquel on en change plus ?
D’instinct, je réponds que tout est possible aux âmes de bonne volonté… Encore faut-il que cela fasse sens… Encore faut-il que cela soit essentiel et vital… Et sans doute, quelque part, cela ne l’est pas encore assez pour que, depuis des années, de façon récurrente et jamais solutionnée, ce problème continue de se poser à moi…
Quelqu’un m’a dit « ça ne gratte pas encore assez…»…
Je dois dire que j’hésite à poster cet article. Un peu intime et pas trés à mon avantage… Mais, dans mon programme d’autopolissage, il y a cette phrase qui plane « Fais chaque jour quelque chose qui te fait peur ». Dévoiler ce qui me travaille si constamment me semble une chose bien effrayante… Et une petite voix me dit que poser ça là pourrait me faire avancer d’un petit pas lunaire… 😉
D’autant que concrètement, ce blog est la première victime de mes questionnements existentiels et que c’était avec les meilleurs intentions du monde que j’ai posté l’article précédent… Mais c’était il y a plus d’un mois… Et j’avais alors l’intention d’écrire des articles sur l’architecture brutaliste avec des dessins que je venais de réaliser. Mais je me suis bloquée moi-même… Je n’ai pas trouvé l’angle cohérent, l’approche assez parfaite, les dessins me semblent bon, mais je ne sais pas les raccrocher à d’autres choses que je fais par ailleurs, alors j’ai tout arrêté, et Chronotes reste déséspérement vide alors que mon carnet de dessins, lui est bien rempli… Finalement, je ne suis pas encore prête à accepter d’être telle que je suis…
Si ça vous dit d’en discuter, n’hésitez pas à poster un petit commentaire là dessous. je les lis tous et réponds à tout le monde…
Petite précision : je ne viens pas à la pêche aux compliments… Ne vous croyez pas obligés de m’encourager… Je préfère que nous parlions vraiment de ce qui nous préoccupe et de comment chacun d’entre nous met en œuvre des outils ou des stratégies pour dépasser les blocages qui nous enquiquinent…
Je commence ce commentaire encore le sourire aux lèvres. Oui j’ai ris. J’ai ris de cette joie baromètre qui m’indique le juste le vrai le commun le lien la même mouise que personne n’ose exposée.
Jubilatoire!
Puis je le continue par un soupir. Celui qui me pose chez moi inspiré par ton introspection au grand jour.
Densité du sujet, multitude de sujets sous jacents.
Synchro! Je regarde que mes workshops de la semaine prochaine sont en voie d’annulation faute d’un nombre de participants suffisant. Jugement toxique Mésestime Comparaison Dépréciation… aurait été le cycle classique.
Sauf qu’aujourdhui je me permets de plus en plus d’oser signer mon arrêt de peine moi même.
Comme je me suis fait entrer dans cette prison de sabotage je peux aussi m’en faire sortir.
Alors je regarde à quoi me sert cette prison (et ben oui si elle ne me servait pas je n’y serai pas) et cherche pas à pas comment satisfaire ce besoin dans un cycle vertueux.
Déconnecter la valeur de qui je suis à la qualité de ce que je fais m’aide beaucoup. Peut être vais je annuler mes workshops la semaine prochaine mais quoiqu’il en soit ça n’abimera pas ma légitimité de les proposer de les animer de kiffer mon métier…parce que j’aurai choisi … aller je me lance … de m’aimer! De m’aimer même si…
Même si ça n’est pas à mon goût…
Même si ca n’est pas au goût de l’autre… Même si…
Bonjour !
Je suis « tombé » par hasard sur votre blog en cherchant une illustration pour Evernote et je ne sais pas pourquoi je suis venu lire cet article.
J’ai pendant longtemps eu ce même ressenti de ne pas parvenir à garder le focus suffisamment longtemps pour en faire quelque chose de significatif.
Depuis, deux choses m’ont aidées à voir le bon côté de la chose.
La première c’est que le chemin importe plus que la destination. C’est du réchauffé mais apprendre à se contenter du plaisir que procure l’instant en faisant ce qui nous enthousiasme plutôt que de se forcer dans autre chose de moins transcendant sur le moment est peut être une clé pour limiter cette frustration.
D’autant que le deuxième point vient nous rattraper de la honte que nous procure notre dispersion : on ne sait qu’à posteriori à quoi aura servi ce que nous avons fait dans le passé. Vous êtes en quête d’accomplissement, et bien peut-être que la meilleure chose à faire est d’explorer toujours plus de terres inconnues jusqu’à trouver des liens inédits qui feront émerger une idée nouvelle !
Enfin, on est tous différent et je crois que l’on à le droit d’accepter d’être une personne qui s’accomplisse en faisant toujours quelque chose de nouveau, j’aime à le croire tout du moins, l’avenir le dira !
J’ai été inspiré par la lecture de votre article qui est un peu une invitation à l’introspection.
Sur ce, je vous souhaite une bonne continuation !
Bonjour Baptiste, merci pour ton commentaire. Tu as raison : le chemin est plus important que la destination et tu as également raison quand tu dis qu’on ne sait pas à quoi aura servi ce qu’on a accompli dans le passé… J’entendais hier une masterclass de Dominique Gonzales-Foester, la plasticienne, qui disait qu’aux Beaux-Arts elle enseigne à ses élèves à ne pas se concentrer sur les questions de cohérence et de style, parce qu’à la fin, le sens de ce qui est produit apparaît et que ça finit toujours pas apparaître. Plus exactement, elle disait qu’on finit toujours par faire des choses qui se ressemblent, et que c’est beaucoup plus difficile de faire quelque chose de trés trés différent. Elle disait également qu’elle déteste le terme de « démarche » qu’on impose aux étudiants et qui peut s’avérer trés inhibant…